Le 19 mai 2025, la justice guinéenne jouera l’une de ses partitions les plus attendues. À la barre du tribunal de première instance de Kaloum : un dossier explosif, révélateur des dérives profondes d’un système où la confusion entre pouvoir d’État et intérêts privés a souvent nourri l’impunité. Le procès oppose la société ABC, propriété de l’investisseur russe Alexandre Zotov, à Ahmed Kanté, ancien ministre des Mines et ex-directeur général de la SOGUIPAMI.
Ce qui aurait dû être un partenariat stratégique s’est transformé, selon la partie civile, en une opération de prédation méthodique. Alexandre Zotov, séduit par le potentiel minier guinéen, engage des dizaines de millions de dollars pour développer un projet d’envergure. Il s’entoure de partenaires locaux, dont Ahmed Kanté, censé servir d’interface avec les autorités. Mais rapidement, l’idylle tourne au cauchemar.
D’après les accusations portées devant la justice, Ahmed Kanté aurait profité de son influence, de sa connaissance fine du dossier et de la confiance de Zotov pour s’approprier les éléments du projet. Avec deux complices étrangers — Claude Lorcy et Philippe Rogers — il aurait lancé en parallèle une société concurrente en Chine, dans l’optique d’évincer ABC et d’en tirer des bénéfices personnels.
Lors de l’audience du 5 mai 2025, l’avocat de la société ABC, Me Mohamed Alkaly Touré, n’a pas mâché ses mots. Il a parlé d’un “vol planifié”, d’un “scénario écrit de bout en bout” pour déposséder Alexandre Zotov de son propre investissement. Le préjudice, selon lui, est considérable :
• 50 millions de dollars de dépenses à rembourser,
• Et 15 millions de dollars en dommages et intérêts.
Pour Me Touré, cette affaire dépasse le simple cadre commercial. Elle symbolise un “coup d’État économique” perpétré par un homme qui a profité de sa proximité avec le pouvoir pour détourner à son profit un projet stratégique étranger, au détriment de l’image de la Guinée.
Le ministère public, représenté par le procureur Youssouf Fofana, a abondé dans le même sens. Dans un réquisitoire d’une rare intensité, il a dénoncé un cas emblématique de “banditisme intellectuel” : l’usage frauduleux d’informations confidentielles, la duplicité, la concurrence déloyale, et la trahison pure et simple d’un bienfaiteur étranger.
Le parquet a requis :
• Trois (3) ans de prison ferme contre Ahmed Kanté,
• Une amende de 25 millions de francs guinéens,
• Et une peine exemplaire pour rétablir l’autorité de l’État et la confiance dans la justice.
Depuis plusieurs semaines, une campagne orchestrée par des soutiens d’Ahmed Kanté tente d’influencer l’opinion publique. Tribunes complaisantes, attaques ciblées contre le procureur, et désinformation : autant de manœuvres pour brouiller les faits. Mais la solidité du dossier et la gravité des accusations ne laissent guère de place au doute.
Au-delà des individus, ce procès met au défi l’ensemble du système judiciaire guinéen. Le tribunal devra trancher : protéger un ancien haut cadre influent malgré les éléments accablants, ou affirmer que la République ne protège plus ceux qui s’enrichissent par la fraude, la trahison et l’abus de pouvoir.
Le peuple guinéen, les observateurs internationaux et les investisseurs étrangers observeront de près ce verdict. Il ne s’agira pas seulement de rendre justice à un homme lésé, mais de restaurer la confiance dans les institutions, et d’envoyer un message fort : la Guinée ne sera plus un terrain de chasse pour les prédateurs à col blanc.
Par Ousmane Bangoura sur Yimbayanews.com