Tribunal de Première Instance de Kaloum, 5 mai 2025 – L’affaire opposant l’homme d’affaires russe Alexandre Zotov à l’ancien ministre des Mines de Guinée, Ahmed Kanté, a connu un tournant majeur ce lundi. Au cours d’une audience très attendue, le Substitut du Procureur, Youssouf Fofana, a prononcé un réquisitoire d’une rare fermeté, appelant à la condamnation de M. Kanté à une peine de trois ans de prison ferme et au paiement d’une amende de 25 millions de francs guinéens.
Accusé de détournement de projet minier, d’abus de confiance et de concurrence déloyale, Ahmed Kanté est soupçonné d’avoir, en complicité avec Claude Lorcy et Philippe Rogers, écarté la société ABC fondée par Alexandre Zotov, afin de créer une entité concurrente exploitant indûment les informations confidentielles du projet initial. Ce détournement présumé serait survenu à la suite d’un déplacement en Chine, au cours duquel les accusés auraient manœuvré pour capter à leur profit un projet dans lequel ils n’avaient ni investi, ni contribué sur le plan technique ou financier.
Dans son réquisitoire, le procureur Fofana a dénoncé un véritable “banditisme intellectuel”, parlant d’“abus de confiance aggravé” et de “trahison économique”. Il a souligné que ces agissements ternissent la réputation de la Guinée sur le plan international et compromettent sa capacité à attirer des investisseurs sérieux.
« Il est inadmissible qu’un ancien ministre, ancien Directeur Général de la SOGUIPAMI, s’approprie un projet d’investissement étranger pour en faire une affaire privée. C’est une faute grave qui appelle une réponse judiciaire exemplaire », a martelé Youssouf Fofana.
Le magistrat a par ailleurs rappelé que M. Kanté n’a apporté aucun financement au projet et qu’aucune preuve comptable ne prouve une quelconque participation financière de sa part. « Même son épouse l’a assigné en justice, tout comme l’épouse de Claude Lorcy, ce qui en dit long sur le climat de méfiance que cette affaire a suscité », a-t-il ajouté.
Le représentant du ministère public a cité les articles 428, 466 et suivants du Code pénal guinéen, comme base juridique de sa réquisition, insistant sur la nécessité de restaurer la confiance dans les institutions publiques :
« Nous ne pouvons pas inviter les investisseurs à venir en Guinée pendant que certains cadres détournent impunément des projets. Il faut tracer une ligne rouge. »
Il a ainsi demandé au tribunal de ne reconnaître aucune circonstance atténuante en faveur des accusés, estimant que leur position passée au sein de l’État les engageait à une probité exemplaire.
De son côté, Me Mohamed Alkaly Touré, avocat d’Alexandre Zotov et de la société ABC, a livré une plaidoirie structurée, dénonçant une stratégie frauduleuse soigneusement mise en place par les prévenus. Il a qualifié ce procès de “test grandeur nature” pour la justice guinéenne, estimant que l’enjeu dépasse le simple cadre commercial pour toucher à la moralisation de la vie publique et économique.
« Les prévenus n’ont investi aucun centime dans ce projet. Pourtant, ils ont monté un dispositif pour en détourner les fruits. C’est de l’escroquerie pure. Ils continuent de profiter d’un projet dont ils ne sont ni les concepteurs, ni les bailleurs. »
Plaidant sur la base des articles 428, 466, 467 et 535 du Code pénal, Me Touré a réclamé une condamnation solidaire des prévenus, avec un remboursement intégral des investissements estimés à plus de 50 millions de dollars US, ainsi que le paiement de 15 millions de dollars à titre de dommages et intérêts. Il a également demandé un versement provisoire de ces sommes à la société ABC en attendant la liquidation judiciaire définitive.
En réponse, la défense a vigoureusement dénoncé une réquisition qu’elle juge “émotive et orientée politiquement”, contestant à la fois la matérialité des infractions et l’évaluation financière du préjudice. Elle qualifie d’ailleurs d’incohérents les montants réclamés par la partie civile, variant entre 50 millions et 36 millions de dollars selon les différentes audiences.
« Nous sommes profondément déçus par la teneur du réquisitoire. Il n’y a aucune preuve tangible d’un abus de confiance ni de concurrence déloyale. Nous plaidons la relaxe pure et simple de notre client pour délit non constitué », a déclaré l’un des avocats d’Ahmed Kanté.
Prenant la parole à son tour, l’ancien ministre Ahmed Kanté a rejeté les accusations portées contre lui. Il a déclaré faire confiance à ses avocats et s’en remettre au jugement du tribunal.
« Je pense que mes conseils ont présenté les faits dans leur justesse. Je suis serein. Je m’en remets au tribunal. »
Le verdict de cette affaire aux ramifications politiques, économiques et judiciaires est attendu le 19 mai prochain. Quelle qu’en soit l’issue, ce procès s’impose déjà comme un symbole fort de la volonté de l’appareil judiciaire guinéen de rompre avec la culture de l’impunité, et d’instaurer une nouvelle ère de responsabilité, de transparence et de protection des investisseurs.
Mohamed Said Azhary pour Yimbayanews.com